Dès lors que la signification d’une contrainte ne mentionne pas le même montant que la contrainte, elle doit comporter un décompte justifiant de la différence Cass. 2e civ. 15 juin 2017 pourvoi n° 16-10788)
On se souvient que par l’arrêt Deperne du 19 mars 1992, la Chambre sociale avait décidé que « que la mise en demeure qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation ; [qu’]à cette fin il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice » (pourvoi n° 88-11682 – On relèvera que cet apport de la jurisprudence a été inscrit dans l’article R 244-1 du Code de la sécurité sociale par le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 et dans les termes suivants : « l’avertissement ou la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées ainsi que la période à laquelle elles se rapportent »). Cette décision avait fait naître de nombreux espoirs. Cependant, rapidement la jurisprudence s’est refusée à tomber dans un « formalisme exacerbé » (expression de S Choppin Haudry de Janvry. Le contrôle et le recouvrement des cotisations de sécurité sociale dans la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation. Rapport de la Cour de cassation. 1996. p 83). La position de la Cour suprême pouvait être résumée en une phrase : dès lors que le cotisant a la faculté de connaître le montant et la cause de sa dette de manière directe ou indirecte, la mise en demeure est valable.
Cette position trouve application en matière de mise en demeure. Une simple différence entre le montant réclamé dans la lettre d’observations et la mise en demeure n’entraîne pas nécessairement la nullité de la mise en demeure dès lors que le cotisant est capable de comprendre la différence (ex : règlement partiel effectué par le débiteur…).
Comment traiter donc les éventuelles erreurs dans la mise en demeure ? Dans tous les cas, il s’agit de savoir si le cotisant la société a bien eu connaissance de la nature, de l’étendue et de la cause de ses obligations.
Ainsi, la seule différence d’une somme très minime, en l’espèce 5 euros entre la lettre d’observations et la mise en demeure, n’est pas de nature à entraîner la nullité de la mise en demeure, dès lors que la société a bien eu connaissance de la nature, de l’étendue et de la cause de ses obligations (Pau. Chambre sociale. 31 décembre 2015. RG n° 15/05038, 13/02962 V. une décision identique pour une discordance de 69 € : Amiens. Chambre sociale 5, cabinet B. 13 Janvier 2015. RG n° 13/02401, ou pour une discordance de 169 € : Amiens. Chambre sociale. 26 mai 2015. RG n° 14/04291 – V. également : Paris. Pôle 6, ch 12. 28 Mars 2013. RG n° 12/02561 : différence entre la somme de 18 921,35 euros figurant sur la mise en demeure et la somme de 18 993 euros, alléguée au terme de la lettre d’observations – V. également pour une solution semblable s’agissant différence de 10 euros entre les sommes réclamées sur la lettre d’observations et la mise en demeure : Rouen. Chambre sociale et des affaires de sécurité sociale. 17 mai 2017 RG n° 15/05052 ou d’une mise en demeure dont le montant est inférieur de 3 euros de celui retenu par la lettre d’observation : Nîmes. 7 mars 2017. RG n° 15/04305)
En revanche, doit être annulée la mise en demeure pour un montant de 24 284 euro alors que la lettre d’observations visait un redressement d’un montant global en cotisations de 36 071 euro que l’inspecteur de l’URSSAF avait expressément déclaré maintenir dans sa totalité après réception de des observations de la société. Cette différence de 11 787 euro ne permettait pas à la société d’avoir une connaissance suffisamment précise de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation vis-à-vis de l’union de recouvrement (Amiens. Chambre sociale 5, cabinet A. 4 Mars 2014. RG n° 13/00314, 13/00724). De même, une mise en demeure adressée par une URSSAF par référence à un redressement d’un montant de 1 058 392 en principal, en contradiction flagrante avec une précédente notification adressée par la même URSSAF à la société contrôlée réduisant le redressement à hauteur de la somme de 250 875 euros en conséquence des observations formulées par elle, n’avait pas mis à la société contrôlée en mesure d’apprécier la cause, la nature et l’étendue de sa créance. Il y a donc lieu d’annuler la mise en demeure ainsi que le redressement y afférent (Paris. Pôle 6, chambre 12. 20 novembre 2014. RG n° 11/08957 – Il en est de même pour un écart de 5707 euros entre la mise en demeure et la lettre d’observations, cette situation ne permettant pas au débiteur de connaître l’étendue de son obligation : Lyon. Ch sécurité sociale. 25 février 2014. RG n° 13/05822 V. également : Douai. Chambre sociale. 18 décembre 2015. RG ° 14/04442 dans une situation où la lettre d’observations était de 407 406 euro et la mise en demeure de 632 742 euro pour les cotisations auxquels s’étaient ajoutés 74 836 euro au titre des majorations de retard).
Afin de ne pas multiplier les contentieux en la matière, les députés B.Gérard et M.Goua avaient proposé de modifier l’imprimé CERFA de mise en demeure afin de le rendre plus clair et lisible et de préciser dans le code de la sécurité sociale que le contenu la mise en demeure devait obligatoirement être précis et motivé (Pour un nouveau mode de relations URSSAF/Entreprises. Assemblée Nationale. Avril 2015. proposition n° 37). Ce fut chose faite par la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 qui a complété l’article L 244-2 du Code de la sécurité sociale en précisant que le contenu de la mise en demeure « doit être précis et motivé ». Et à l’article R 244-1 du même code (décret n°2016-941 du 8 juillet 2016) d’indiquer que « le document mentionne au titre des différentes périodes annuelles contrôlées les montants notifiés par la lettre d’observations corrigés le cas échéant à la suite des échanges entre la personne contrôlée et l’agent chargé du contrôle. La référence et les dates de la lettre d’observations et le cas échéant du dernier courrier établi par l’agent en charge du contrôle lors des échanges mentionnés au III de l’article R. 243-59 figurent sur le document. Les montants indiqués tiennent compte des sommes déjà réglées par la personne contrôlée ».
Suivant l’article R 133-3 du code de la sécurité sociale, si la mise en demeure reste sans effet au terme du délai d’un mois à compter de sa notification, les directeurs des organismes créanciers peuvent décerner, une contrainte. Cette contrainte est notifiée au débiteur par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception ou lui est signifiée par acte d’huissier de justice. Le document est signifié au débiteur par acte d’huissier de justice ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. A peine de nullité, l’acte d’huissier ou la notification mentionne la référence de la contrainte et son montant, le délai dans lequel l’opposition doit être formée, l’adresse du tribunal compétent et les formes requises pour sa saisine. Récemment, la 2° chambre civile est venue rappeler que la motivation de la mise en demeure adressée au cotisant ne dispensait pas l’organisme social de motiver la contrainte qu’il décernait ensuite pour le recouvrement des cotisations mentionnées dans la mise en demeure (Cass. civ. 2°. 3 novembre 2016 pourvoi n° 15-20433).
On relèvera que les principes posés par l’arrêt Deperne visent tant la mise en demeure que la contrainte. Comme pour la mise en demeure, l’inexactitude de la somme réclamée ne rend pas nécessairement nul le document. La Chambre sociale a ainsi statué que, si la somme indiquée ne correspondait pas à celle dont le débiteur était redevable, en raison par exemple d’une révision de l’assiette des cotisations, la contrainte était cependant valable à concurrence du montant réduit des cotisations (Cass. soc. 18 octobre 1978. pourvoi n° 77-10906 – 30 mars 1982. pourvoi n° 80-16157). On mentionnera également que l’article R 133-3 al 1 du Code de la sécurité sociale prévoit que l’acte d’huissier de justice ou la lettre recommandée, “à peine de nullité», doit mentionner la référence de la contrainte et son montant, le délai dans lequel l’opposition doit être formée, l’adresse du tribunal des affaires de sécurité sociale compétent et les formes requises pour sa saisine. On peut s’interroger sur la mention “à peine de nullité”. En fait, l’affirmation est beaucoup moins forte qu’il n’y parait au premier abord. En effet, l’article 114 al 2 du Code de la procédure civile édicte que “la nullité ne peut être prononcée, qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque, de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public”. En d’autres termes, la nullité n’a aucun caractère automatique (Cass. soc. 8 novembre 1979, Bull, civ, V, n° 833).
Toutefois, cette souplesse de la Cour de cassation a ses limites que nous indique l’arrêt du 15 juin 2017. En l’espèce, une contrainte avait été décernée par la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV) le 16 décembre 2010, pour un montant de 34 131 euros au titre des cotisations et de 5 383, 25 euros au titre des majorations de retard puis avait été signifiée, le 1er octobre 2013, pour un montant en principal de 10 435, 19 euros, sans que l’acte de signification ne comporte de décompte permettant de justifier la différence de somme entre la contrainte et la signification. L’organisme invoquait le fait que la signification d’une contrainte délivrée à l’encontre d’un assuré par un organisme social peut régulièrement refléter une modification à la baisse des demandes dudit organisme social et cela sans qu’il soit nécessaire de l’accompagner d’un nouveau décompte. Au contraire, pour la 2° chambre civile, la signification d’une contrainte délivrée à l’encontre d’un assuré par un organisme social peut refléter une modification à la baisse des demandes dudit organisme sous réserve qu’elle soit accompagnée d’un nouveau décompte. En un mot, la jurisprudence requiert logiquement que le cotisant connaisse précisément le montant et les raisons de la contrainte. Et ce souhait paraît d’autant plus légitime lorsqu’apparaît une différence de montant dans la contrainte et dans l’acte de signification !