Cass civ. 2°. 15 juin 2017 pourvoi n° 16-10788
Dès lors que la contrainte décernée par la caisse pour un certain montant de cotisations a ensuite été signifiée pour un montant différent sans que l’acte de signification ne comporte de décompte permettant de justifier la différence de somme entre la contrainte et la signification, la signification de la contrainte est irrégulière et la caisse ne peut pas en obtenir la validation
Les faits
Une contrainte avait été décernée par la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV), le 16 décembre 2010, pour un montant de 34 131 euros au titre des cotisations et de 5 383, 25 euros au titre des majorations de retard, puis signifiée au cotisant, le 1er octobre 2013, pour un montant en principal de 10 435, 19 euros, sans que l’acte de signification ne comporte de décompte permettant de justifier la différence de somme entre la contrainte et la signification. La Cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 23 novembre 2015 avait considéré que la signification était irrégulière.
Les arguments et la solution
Dans le cadre de son pourvoi, la caisse invoquait deux arguments. En premier lieu, elle soulignait que la signification d’une contrainte délivrée à l’encontre d’un cotisant peut régulièrement refléter une modification à la baisse des demandes dudit organisme et cela sans qu’il soit nécessaire de l’accompagner d’un nouveau décompte. Tel était le cas en l’espèce puisqu’entre le 16 décembre 2010, date d’émission de la contrainte par la CIPAV et le 1er octobre 2013, date de signification de ladite contrainte, le montant des cotisations dues avait été recalculé de sorte que l’acte de signification faisait état d’un montant plus faible de la contrainte. En deuxième lieu, la caisse soutenait que lorsque la somme mentionnée dans la contrainte ne correspond pas à celle qui figure dans l’acte de notification et dont le débiteur reste redevable, en raison d’une révision opérée du montant de ses cotisations, la contrainte demeure valable à concurrence du chiffre réduit résultant de ladite révision.
Au contraire, le cotisant invoquait l’irrégularité de la signification dès lors que l’acte ne comportait pas de décompte permettant de justifier la différence de somme entre la contrainte et ladite signification
Le pourvoi de la caisse est rejeté en des termes qui ne laissent aucune place au doute.
Portée de la décision
Rappelons s’il en était besoin que la jurisprudence se montre sourcilleuse sur les obligations d’information que doivent de respecter les organismes de recouvrement. Ainsi, sans rentrer dans les détails, rappelons que suite à un contrôle URSSAF, les observations de l’organisme doivent être motivées par chef de redressement, comprendre les considérations de droit et de fait qui constituent leur fondement et, le cas échéant, l’indication du montant des assiettes correspondant, ainsi que pour les cotisations et contributions sociales l’indication du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités (CSS art R 243-59 III al 1). Quant à la mise en demeure, son contenu « doit être précis et motivé » (CSS art L 244-2 – V. sur ce point les précisions apportées par l’article R 244-1). Ainsi, si une discordance importante de redressement entre la lettre d’observations et la mise en demeure, entraîne une ambiguïté qui interdit au débiteur d’avoir parfaitement connaissance de la cause et de l’étendue de la totalité de son obligation, la mise en demeure se doit d’être annulée. Ainsi doit être annulée la mise en demeure pour un montant de 24 284 euro alors que la lettre d’observations visait un redressement d’un montant global en cotisations de 36 071 euro que l’inspecteur de l’URSSAF avait expressément déclaré maintenir dans sa totalité après réception de des observations de la société. Cette différence de 11 787 euros ne permettait pas à la société d’avoir une connaissance suffisamment précise de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation vis-à-vis de l’union de recouvrement (Amiens. Chambre sociale 5, cabinet A. 4 mars 2014. RG n° 13/00314, 13/00724). De même, une mise en demeure adressée par une URSSAF par référence à un redressement d’un montant de 1 058 392 en principal en contradiction flagrante avec une précédente notification adressée par la même URSSAF à la société contrôlée réduisant le redressement à hauteur de la somme de 250 875 euros en conséquence des observations formulées par elle, n’avait pas mis à la société contrôlée en mesure d’apprécier la cause, la nature et l’étendue de sa créance. Il y a donc lieu d’annuler la mise en demeure ainsi que le redressement y afférent (Paris. Pôle 6, chambre 12. 20 novembre 2014. RG n° 11/08957). En revanche, la seule différence d’une somme très minime, en l’espèce 5 euros entre la lettre d’observations et la mise en demeure, n’est pas de nature à entraîner la nullité de la mise en demeure, dès lors que la société a bien eu connaissance de la nature, de l’étendue et de la cause de ses obligations (Pau. Chambre sociale. 31 décembre 2015. RG n° 15/05038, 13/02962 V. une décision identique pour une discordance de 69 € : Amiens. Chambre sociale 5, cabinet B. 13 janvier 2015. RG n° 13/02401, ou pour une discordance de 169 € : Amiens. Chambre sociale. 26 mai 2015. RG n° 14/04291 – V. également : Paris. Pôle 6, ch 12. 28 Mars 2013. RG n° 12/02561 : différence entre la somme de 18 921,35 euros figurant sur la mise en demeure et la somme de 18 993 euros, alléguée au terme de la lettre d’observations).
S’agissant ensuite de la contrainte qui est décernée par l’organisme, faute pour le débiteur de se manifester ou de contester le montant des cotisations réclamées (CSS art R 133-3), là encore, la 2° chambre civile oblige les caisses à être précises. Dans un récent arrêt qui concernait le RSI, la Cour de cassation a décidé que « la motivation de la mise en demeure adressée au cotisant ne dispense pas l’organisme social de motiver la contrainte qu’il décerne ensuite pour le recouvrement des cotisations mentionnées dans la mise en demeure » (Cass civ. 2°.3 novembre 2016. pourvoi n° 15-20433).
Dans le présent arrêt du 15 juin 2017, la 2° chambre civile poursuit son travail de rigueur. Dès lors qu’aucun décompte ni aucune explication n’est fournie au débiteur sur une différence de montant entre une contrainte et l’acte de signification remis « au débiteur par acte d’huissier de justice ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception » (et ce même si cette différence est favorable au cotisant), la contrainte est irrégulière et la caisse ne peut pas en obtenir la validation. En un mot, le cotisant doit savoir ce qu’on lui réclame et pourquoi on lui réclame !