Une cour d’appel ne peut, sur le fondement d’une circulaire et d’une lettre ministérielle dépourvues de toute portée normative, faire droit au recours d’une entreprise en annulation du redressement portant sur la réintégration par l’Urssaf dans l’assiette des cotisations et contributions sociales des bons d’achat et cadeaux en nature attribués aux salariés à l’occasion des fêtes de Noël en retenant qu’il est admis, en application de l’instruction ministérielle du 17 avril 1985, que les cadeaux et bons d’achat attribués à un salarié peuvent être exclus de l’assiette des cotisations lorsqu’ils sont attribués en relation avec un événement (Cass. 2e civ. 30 mars 2017 pourvoi n° 15-25453)
Selon l’article L 243-6-2 du CSS, le redevable ne peut opposer à l’organisme de recouvrement l’interprétation de la législation relative aux cotisations et contributions sociales admise par une circulaire ou une instruction du ministre chargé de la sécurité sociale publiée, selon les modalités qu’il précise, que pour faire échec au redressement de ses cotisations et contributions par l’organisme fondé sur une interprétation différente. N’entre pas dans les prévisions de ces dispositions la demande d’une société arguant de l’opposabilité de la circulaire du 14 septembre 2005 relative à l’épargne salariale à l’appui de sa demande d’annulation des observations pour l’avenir de l’Urssaf portant sur son accord d’intéressement (Cass. 2e civ. 24 mai 2017 pourvoi n° 16-15724)
Notre système juridique, outre les lois et règlements, comporte un nombre incalculable de circulaires expliquant l’interprétation de l’administration (ministère des Affaires sociales ou ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité sociale) sur un point précis ou encore, créant des tolérances vis à vis des usagers. En matière fiscale, la question ne pose pas de problèmes puisque l’article 80 A al 2 du livre des procédures fiscales prévoit que « lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ».
La situation est-elle identique en matière de cotisation de sécurité sociale ?
Dans le passé, la Cour de Cassation avait estimé, faute de texte précis, que les instructions de l’ACOSS, les circulaires ministérielles ou les réponses ministérielles, n’avaient pour but que de faciliter les tâches des URSSAF en expliquant la position de l’administration sur un point précis (Cass. soc. 17 avril 1985, Bull, civ, V, n° 229 – 13 mai 1985, Bull, civ, V, n° 292). Il en résultait donc clairement qu’une instruction ministérielle, ou une circulaire de l’ACOSS, était dépourvue de force obligatoire et ne pouvait, en aucune manière, être de nature à restreindre les droits des URSSAF (Conseil d’Etat. 12 février 1997, Lombard – Cass. soc. 11 mai 1988, Bull, civ, V, n° 287). Paradoxalement donc, un cotisant scrupuleux, qui avait suivi une instruction de l’ACOSS ou qui avait appliqué une circulaire administrative, pouvait se trouver redressé par l’URSSAF sur la base d’une interprétation différente. Cette remarque n’était pas neutre lorsque l’on sait, qu’aujourd’hui, de nombreux domaines ne sont régis, essentiellement, par des circulaires administratives (V. ainsi les avantages servis pour les comités d’entreprise ou avantages octroyés à des médaillés du travail). Désormais, l’article L 243-6-2 du Code de la sécurité sociale issu de l’ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005 renforce, la sécurité juridique des cotisants en leur permettant d’opposer la doctrine de l’administration dans des conditions précises.
En premier lieu, pour que le cotisant ait intérêt à invoquer cette doctrine, cela suppose évidemment que la position qui y est exprimée soit favorable à l’intéressé.
En outre, il doit s’agir de circulaires ou instructions du ministre chargé de la sécurité sociale, publiées conformément à la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d’amélioration entre l’administration et le public ou dans les conditions prévues à l’article 5-1 de l’ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004, relative aux modalités et effets de la publication des lois et certains actes administratifs. Pratiquement, il faut donc « une circulaire ou instruction régulièrement publiée au bulletin officiel du ministère, sous forme imprimée ou électronique » (V. rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance). Ainsi la publication au Journal Officiel d’une réponse ministérielle n’ouvre pas droit à cette garantie. On insistera enfin sur le fait que ces textes doivent émaner du ministre chargé de la sécurité sociale, ce qui exclut les circulaires émanant de l’ACOSS (V. sur ce point : circ. DSS/5C 2006-72 du 21 février 2006)
Ce texte a été complété par l’article R 243-59-8 : le cotisant peut se prévaloir de l’application d’une circulaire ou d’une instruction précisant l’interprétation de la législation en vigueur à l’attention des URSSAF. Sa demande est recevable tant que les sommes mises en recouvrement n’ont pas un caractère définitif. L’organisme de recouvrement informe le cotisant dans un délai de deux mois à compter de la demande des montants qui, le cas échéant, sont annulés
Dans l’arrêt du 30 mars 2017, était visée l’instruction ministérielle du 17 avril 1985 énonçant, en effet, que les cadeaux et bons d’achat attribués à un salarié peuvent être exclus de l’assiette des cotisations lorsqu’ils sont attribués en relation avec un événement. De plus, une lettre ministérielle du 12 décembre 1988, reprise dans une lettre circulaire ACOSS 2011-24 du 21 mars 2011, édicte qu’une présomption de non assujettissement des bons d’achat et cadeaux attribués à un salarié au cours d’une année civile existe, à condition que le montant alloué au cours de l’année n’excède pas 5 % du plafond mensuel de la sécurité sociale.
Pour la Cour de cassation, les exonérations ou exemptions résultant de circulaires ou instructions, sans pouvoir être rattachées à une disposition légale ou réglementaire ou à une jurisprudence, ne lient ni les URSSAF ni les juges en cas de litige. Ainsi en est-il d’une tolérance résultant d’une simple lettre-circulaire ACOSS ou encore, des tolérances figurant dans l’instruction ministérielle du 17 avril 1985, qui n’ont pas de force juridique obligatoire. Il convenait donc de faire application de l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale selon lequel toutes les sommes versées à l’occasion du travail sont soumises à cotisations sociales
Dans le deuxième arrêt du 24 mai 2017, les faits étaient les suivants : une entreprise avait conclu un accord d’intéressement prévoyant une répartition effectuée pour moitié en fonction du salaire et pour moitié en fonction la durée du travail. L’accord précisait que le salaire brut de référence pris comme base de calcul pour la prime d’intéressement ne pouvait être inférieur au plafond annuel de la sécurité sociale. Pour l’organisme de contrôle, l’utilisation de cette base de calcul plafonnée revenait à favoriser les salaires inférieurs à un plafond, ce qui contournait la règle de stricte proportionnalité de la répartition de l’intéressement. Toutefois, l’entreprise n’ayant pas été informée de la non-conformité de l’accord à la loi par la DIRECCTE, l’organisme décidait de ne pas la redresser pour ce motif et lui adressait une lettre d’observations l’invitant à se conformer à l’avenir à la législation en vigueur sur ce point. L’affaire aurait pu en rester là. Mais l’entreprise décidait de contester cette observation pour l’avenir au motif que la circulaire interministérielle du 14 septembre 2005 (publiée au Journal Officiel n° 255 du 1° novembre 2005) autorisait cette pratique. Mal lui en a pris puisque la Cour suprême décide que le cotisant ne peut opposer à une URSSAF l’interprétation de la législation relative aux cotisations et contributions sociales admise par circulaire ou instruction ministérielle publiée que pour faire échec à un redressement. Il ne peut donc pas s’en servir pour demander l’annulation d’une observation pour l’avenir.
Certes, on ne peut reprocher à la 2° chambre civile d’avoir opté pour de telles positions puisque selon l’article 12 du code de procédure civile « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». Mais en revanche, on peut blâmer le législateur et les pouvoirs publics, de ne pas avoir fourni aux cotisants des instruments leur garantissant une sécurité juridique. En effet, à quoi sert-il pour l’URSSAF de créer un portail internet avec le liste des tolérances pour les cadeaux et bons d’achat si finalement cet outil n’est pas opposable aux organismes qui l’ont créé ? De même, on sait que la circulaire interministérielle précitée du 14 septembre 2005 a désormais été intégrée dans un volumineux « Guide de l’épargne salariale » (rédigé par la Direction générale du travail, la Direction de la sécurité sociale, la Direction générale du Trésor, la Direction de la législation fiscale). Mais l’intérêt pour ce guide s’arrête rapidement lorsque l’on sait qu’il il n’a fait l’objet d’aucune publication légale de sorte qu’il n’est pas opposable aux organismes de recouvrement …Finalement le cotisant, peu au fait de la complexité des règles de procédure en matière de sécurité sociale a souvent l’impression, au mieux que l’on se moque de lui et au pire que l’on marche sur la tête ! Faut-il alors créer une nouvelle complexité en conseillant aux cotisants d’utiliser largement la procédure de rescrit (CSS art L.243-6-3 et R.243-43-2) dont la mise en œuvre ressemble fort à une « usine à gaz » (termes utilisés par B.Gérard et M.Goua in : Pour un nouveau mode de relations URSSAF/Entreprises.Ass Nat. Avril 2015. p.33) ? N’est-ce pas Montesquieu qui soutenait que : « ceux qui ont un génie assez étendu pour donner des lois à leur nation doivent faire de certaines attentions sur la manière de les former. Elles doivent être simples et ne doivent point être subtiles. Elles ne sont point un art de logique mais la raison simple d’un père de famille » ? On en est loin.