Le droit à l’erreur à l’épreuve du contrôle URSSAF (à propos du texte voté par l’Assemblée Nationale)
Le contrôle URSSAF est certainement l’exemple le plus révélateur de la nécessité de trouver une solution quant au droit à l’erreur. Sait-on en effet que plus de 60% des vérifications s’achèvent par un redressement (contre 51 % en 2012 et 57 % en 2013) ? Y aurait-il 60 % de fraudeurs… ? Impossible. Il faut donc en déduite que l’employeur peut se tromper de toute bonne foi ! Le texte sur le droit à l’erreur va-t-il résoudre les attentes des chefs d’entreprise ?
Un droit à l’erreur qui existait (partiellement) auparavant
Suite aux recommandations du rapport Bernard Gérard Marc Goua (Pour un nouveau mode de relations URSSAF/ Entreprises » Rapport parlementaire au ministre des Finances et des Comptes publics. avril 2015), il avait été proposé s’agissant de la protection sociale complémentaire, une modulation des redressements en fonction de la gravité de l’erreur de l’employeur. Cette proposition a été inscrite dans le Code de la sécurité sociale (art 12 de la LFSS – CSS art L 133-4-8). De même, l’article R. 243-10 du code de la sécurité sociale permet à l’employeur de rectifier les erreurs constatées dans ses déclarations de cotisations et de contributions sociales, sans avoir à payer les majorations de retard et les pénalités normalement encourues (toutefois, ce droit à l’erreur, s’il ne joue pas en cas d’inexactitudes répétées du montant des rémunérations déclarées, est restreint, tant par le champ de son application que par le montant de l’erreur régularisable, limité à 5 % du montant total des cotisations initiales). Toutefois, il avait été justement fait remarquer que la tolérance n’existait que pour des cas particuliers !
A qui s’applique ce texte ?
Dans le cadre du projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance, le champ d’application du nouvel article L. 123-1 semble très large puisqu’il comprend l’ensemble des hypothèses d’erreurs possibles, quelle que soit la règle de droit méconnue. De plus, il s’appliquerait à l’ensemble de l’administration, au sens de l’article L 100-3 du code des relations entre le public et l’administration, c’est à dire aux administrations de l’État, aux collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale. Cela paraît être de bonne augure ! Toutefois, le principe étant posé, la désillusion est réelle.
Un texte particulièrement restrictif
Ce texte s’applique en cas de méconnaissance involontaire d’une règle applicable à la situation de l’entreprise et en cas d’erreur matérielle lors du renseignement de la situation de l’entreprise (par exemple, une mauvaise saisie informatique lors du renseignement d’une déclaration administrative en ligne).
En revanche, il ne s’applique pas :
- En cas d’erreur ayant déjà été commise par l’entreprise. Pratiquement, le droit à l’erreur s’appliquera en cas de première méconnaissance involontaire d’une règle. Si la personne méconnaît une nouvelle fois cette même règle, elle s’exposera à la sanction administrative encourue. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les termes ne sont pas clairs et sécurisants, s’agissant par exemple des entreprises qui font l’objet de contrôles URSSAF tous les 4 ou 5 ans. En effet, le texte vise toute « personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ». Ce qui voudrait dire que le droit ne joue qu’une seule fois vis-à-vis de la même personne (physique ou morale) et pour l’application d’une même règle (on relèvera par exemple, s’agissant de la protection sociale complémentaire, qu’un laps de temps de 5 ans est prévu entre l’irrégularité et la dernière infraction : CSS art L 133-4-8)
- La sanction pourra être prononcée en cas de mauvaise foi ou de fraude, et ceci sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation (le but serait d’écarter du bénéfice du droit à l’erreur les erreurs grossières ou qui témoignent d’une négligence grave). Quant à la notion de mauvaise foi, elle vise « toute personne ayant délibérément méconnu une règle applicable à sa situation » (code des relations entre le public et l’administration art. L. 123-2 – Cette définition s’appuie sur deux éléments : un élément matériel (le manquement) et un élément intentionnel. Elle transpose ainsi en droit général le concept fiscal de « manquement délibéré » qui figure à l’article 1729 du code général des impôts). La bonne foi étant présumée, c’est à l’administration qu’il appartiendra de motiver, en fait comme en droit, son refus de faire droit à la demande de prise en compte de la bonne foi de l’usager. En toutes hypothèses, l’appréciation de la bonne ou de la mauvaise foi interviendra sous le contrôle du juge, lequel précisera, par sa jurisprudence, les contours de cette notion, comme il le fait déjà de longue date en matière fiscale. Plusieurs observations doivent être faites ici. D’abord, aucune définition de la fraude n’est donnée. Or, on sait que lotion de fraude sociale est totalement banalisée aujourd’hui. Comme l’écrivaient B Gérard et M Goua, « tout cotisant faisant l’objet d’un redressement est automatiquement qualifié de « fraudeur ». Selon le Larousse, la définition de la fraude consiste en un « acte malhonnête dans l’intention de tromper en contrevenant à la loi ou aux règlements ». Or, lorsque la faute du cotisant résulte d’une erreur de « bonne foi », il n’est pas juste ni adapté d’utiliser à son égard un tel qualificatif. Les mots sont importants et contribuent sensiblement à la perception que les entreprises peuvent avoir des organismes de recouvrement. Il conviendrait ainsi de revoir le champ lexical utilisé par les URSSAF pour qualifier un employeur ayant commis une faute de « bonne foi ». Et donc, il serait pour le moins indispensable de donner une définition de la fraude. Qui plus est, le risque est grand que l’administration considère de manière générale qu’il n’y a pas bonne foi, obligeant ainsi le cotisant à aller devant les tribunaux (si tel était le cas, il n’y aurait donc pas de changement par rapport au système antérieur)
- De même le texte n’est pas applicable en cas de retards et omissions de déclaration dans les délais prescrits par un texte
- De la même manière, le texte ne trouvera pas application en cas de travail dissimulé. Cette exclusion pourrait sembler logique … sauf que notre législation a totalement banalisé la notion de travail dissimulé, certains affirmant même que 80% des entreprises seraient dans le travail dissimulé sans même le savoir (ainsi, au milieu de notre législation archi compliquée en matière de durée du travail, le fait de payer des heures supplémentaires en primes exceptionnelles, même si l’URSSAF ne subit aucun préjudice, est révélatrice de travail dissimulé…)
- Comme toutes les dispositions du code des relations entre le public et l’administration, il s’agit d’un droit supplétif, c’est-à-dire d’un droit qui ne s’applique qu’en « l’absence de dispositions spéciales applicables ». Cela signifie que lorsque, dans un domaine déterminé, des dispositions législatives ou réglementaires organisent une procédure spéciale de régularisation des erreurs commises, ce sont ces dernières qui continueront à s’appliquer (code des relations entre le public et l’administration art L 100-1). Il est fortement à craindre sur ce point que les administrations n’instaurent des foultitudes d’exceptions au principe, vidant ainsi le texte de tout intérêt.
- Enfin, ce texte ne trouve pas application s’agissant des sanctions relatives à certaines règles particulières: mise en œuvre du droit de l’Union européenne, règles préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement, sanctions prévues par un contrat, sanctions prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle.
Comme on peut le constater et le déplorer, que vaut un principe tempéré par autant d’exceptions ? On peut honnêtement se poser la question !
Quelles sont les conséquences de ce droit à l’erreur ?
Si l’ensemble de ces conditions sont réunies, l’entreprise chanceuse bénéficiera d’un droit à régularisation. Si elle régularise sa situation, de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration (dans le délai imparti par cette dernière), elle ne sera pas sanctionnée (ni sanction administrative pécuniaire, ni privation de droit à prestation).
On se souvient que le Conseil d’Etat (avis du 23 novembre 2017) a été particulièrement critique sur ce texte trop général, sur ce principe énoncé et bourré d’exceptions (qui elles-mêmes ne sont pas très claires). La lecture de la presse est également critique (« Droit à l’erreur : la réforme qui n’a pas lieu. M Laporte. Contrepoints, « Droit à l’erreur : une réforme cosmétique ». V Pradel. Les Echos. 30 novembre 2017, « Droit à l’erreur : perlimpinpin chez Kafka ». B Nouel. 30 novembre 2017, « droit à l’erreur : on aboutit à un texte qui ne dit rien de nouveau ». J Turot. Interview Europe 1. 27 novembre 2017…). S’il est une évidence, c’est que ce projet de loi ne changera rien et que les administrations n’ont rien à craindre de ce texte d’affichage ! Il n’a pour seul effet que de semer des illusions qui risquent très vite d’être perdues.